Métropismes, par Christophe Grossi

Publié le par Nolwenn Euzen

 

Pour le dernier rendez-vous des "vases communicants" de l'année 2011, Christophe Grossi passe sur ce blog avec ses "Métropismes" tandis que je ferai escale sur "déboitements" avec "dégringoler les bords". Je vous souhaite une très bonne lecture.

 

Christophe Grossi est l'auteur de " Va-t-en va-t-en c'est mieux pour tout le monde " aux éditions Publie.net. On peut aussi le lire régulièrement sur son blog " déboitements ". Des déambulations de son personnage Kwabizbak, à celles qui s'ouvrent vers la centaine d'autres déboitements, de blogs qu'il invite à parcourir avec lui, de ses fraternités numériques, de ses rendez-vous avec la revue d'ici là ou les vases communicants, il tisse des liens, des passerelles, avec une intelligence très sensible du web et de l'écriture qui n'appartient qu'à lui. L'édition numérique n'a pas de secret pour lui et c'est avec esprit d'ouverture et de pédagogie qu'il en développe la lisibilité au sein de la librairie Epagine.

 

 

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Métropismes

 

Je monte le dernier, tu ne sais pas dessiner, il a des mains délicates celui qui lit L'Équipe, elle n'a plus de visage mais un masque la fille qui descend à Oberkampf, nous parlons de quelqu'un qui n'est pas avec nous, vous crachez des bouts de sandwich quand vous êtes au téléphone, ils portent le même jean straight, elles se foutent une de ces pressions, des fois on ne se reconnaît plus dans l'autre qui est en face de nous, ça dure quelques secondes pas plus mais c'est là.

 

jeudi, ligne 5 (Gare de l'Est-République)

 

 

Je me tiens debout à quelques centimètres du vide, tu voudrais fouiller le monde depuis ton poste d'observation que tu n'y arriverais pas, il cherche une place et fait pfff, quand elle se maquille elle tord sa bouche, nous écoutons les flics parler de leur week-end, vous ne vous êtes jamais vus auparavant, ils portent sur leur visage la une de la feuille de choux gratuite du soir, elles ont des copies à corriger alors le film de l'autre là que j'aime bien qui passe à la télé c'est foutu, on regarde les fils électriques, ça arrive souvent qu'on croise un regard à ce moment-là dans la vitre.

 

vendredi, ligne 9 (Croix de Chavaux-Nation)

 

 

Je prends au vol quelques gestes, tu dois descendre et trouver un bus, il s'est assis sur l'écharpe de son voisin, elle dit que Brigitte Bardot elle dort, nous pestons contre ces arrêts intempestifs, vous avez dévalisé le BHV ou quoi ?, ils abordent la question de se revoir au moment de se quitter, elles sourient dans le vide tandis qu'on cherche le conducteur, ça s'entend de loin la parole affolée.

 

même jour, RER A (Nation-Les Halles)

 

 

Je fixe le monde mais seulement par à-coups, au début tu te dis pourquoi ça tombe toujours sur moi, il n'aime plus écouter de la musique si le train s'arrête net, elle dit ta mère elle aurait mieux fait de..., nous n'entendrons jamais la suite, vous devinez pas la peine de continuer, ils auront noté le numéro de téléphone du type à rappeler d'urgence, elles n'en parleront pas à leur mec, on ne comprend pas combien coûtent les deux barquettes de framboises, ça ne vient pas de la même poche cette langue-là.

 

même jour, ligne 1 (Hôtel de Ville-Nation)

 

 

Je me retiens, tu aimerais dire autrement les choses qui picotent, il regrette d'avoir parlé trop vite, elle dit c'est se séparer qu'il faut, nous parvenons à nous écrire quand nous sommes loin l'un de l'autre, vous regarder dans les yeux ce n'est plus possible, ils cherchent des réponses dans les prunelles des autres, elles se demandent comment leurs voisines s'en débrouillent, on n'ose pas poser la question, ça pue des fois.

 

même jour, ligne 9 (Nation-Croix de Chavaux)

 

 

Je vois toujours le même gars couché sur les mêmes sièges, tu racontes l'histoire du lapin qui se coince les doigts en italien, il dit hein ? quoi ? comment ? oh fait chier, elle demande mais il y a personne pour couper cette alarme ?, nous sommes sourds à toute progression simultanée, ils portent des chaussettes rouges dans leurs Birkenstock, elles baissent la vitre, on entend deux poules glousser, ça fait peur aux gosses.

 

dimanche, ligne 9 (Croix de Chavaux-Charonne)

 

 

Quelqu'un tente d'attraper la poignée qu'un type ne lâchait pas comme s'il avait eu peur de rester coincé à jamais, ça frite ça y est ça frite, je-tu-il-elle peu importe dit qu'ici nous sommes dix langues au moins, c'est pas toi qui vas faire la loi, ça monte, cépatoi, dans les décibels, patoiducon mais eux-toi-nouzotre on finit par se mêler dans la tambouille des corps sous terre qui n'écoutent plus les messages d'information diffusés en français, en anglais, en italien, en espagnol, en allemand peut-être bien aussi.

 

même jour, ligne 9 (Charonne-Croix de Chavaux)

 

 

Nous mélangeons tout, tu dis ils partent dans tous les sens, trop de mouvement, tu, non, rien vraiment de près, fouiller ça remue trop.

 

mercredi, ligne 9 (Croix de Chavaux-Nation)

 

 

On voudrait bien être utile, vous confondez tout, j'en sais rien, tu devrais plutôt regarder ce qui se passe dehors.

 

même jour, ligne 6 (Nation-Raspail)

 

 

Au même endroit, chaque semaine le même, à Raspail, seules les affiches changent, les réductions au-dessus de sa tête et tous ces bonheurs à prix cassés ces jambes nues ces soleils ces bouts du monde par téléphone pour pas cher ces soirées uniques à réserver six mois à l'avance et ces têtes à claques, je te nous twitte ça et je ferme les yeux cinq minutes.

 

même jour, ligne 4 (Raspail-Porte d'Orléans)

 

 

Si je savais dessiner j'irais fouiller du côté de la ralentie et non de la retenue.

 

même jour, bus 194 (Porte d'Orléans-Pierre Brossolette/Gabriel Péri)

 

 

 

Christophe Grossi, décembre 2011


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